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Les trans et l’emploi – contre les stéréotypes

Le pire, pour une population, c’est de n’entrer dans aucune statistique. La Halde commence à peine à travailler sur les discriminations à l'encontre des transexuels. Que faire pour leur permettre un meilleur accès au monde du travail ? Le témoignage exclusif d'Hélène Hazera, aujourd'hui productrice à France Culture.

Par Hélène Hazera - animatrice de la commission trans d'act up Paris, productrice à France culture
Hélène Hazera

Hélène Hazera - Radio France, Bruno Sabastia

Après un démarrage difficile (prostitution, etc.), j'ai été vingt ans journaliste à Libération, je suis aujourd'hui productrice à France Culture. J'ai la chance de travailler dans un milieu ouvert où je ne suis discriminée ni en tant que trans ni en tant que séropositive (vais-je faire un plat pour des petits sourires en coin de collègues.?)

Mon modèle, au début de ma transition, quand je me débattais dans des difficultés inimaginables en vivant d’expédient, c’était Marie Pierre Pruvost qui a raconté dans sa biographie ["Marie parce que c'est jolie"] comment elle est passée de star de cabaret à professeure de lettres (avec l'angoisse qu'on la reconnaisse].
Parmi mes amies proches, j’ai une décoratrice réputée, une sémioticienne, une psychanalyste, une avocate, une spécialiste de l’image de synthèse, sans parler des as de l’informatique (à la City de Londres, on s’arrache les trans informaticiennes)… Et des hommes trans généralement bien intégrés. Comme souvent chez les minorités, il y a aussi une nette tendance artistique, des peintres, des photographes, même si quand on fait des expos sur le genre on montre les trans, pas leurs œuvres.
S’intégrer, c’est possible, mais que faire pour les exclus à commencer par les trans qui se réalisent à l’adolescence et n’arrivent plus à suivre leurs études ?

Que faire pour les jeunes trans éjectés par leur famille qu’on retrouve sur le pavé des grandes villes, face à toutes sortes de dangers? Que faire pour les personnes que leur transition vient de jeter dans la marginalité? Que faire pour les trans réfugiées d'Amérique du Sud ou du Maghreb?

J’aimerai bien qu’un organisme prenne ce problème à bras le corps : une personne qui a vécu cette histoire a quelque chose à apporter à la société.

Aux USA, j’ai rencontré dans une soirée artistique une figure étonnante: "Vaginal Davis" - elle se faisait appeler ainsi, était très grande, noire, exubérante, habillée d’un tailleur violemment violet.
Par le biais de "l’affirmative action" (qu’en France on traduit improprement pas "discrimination positive"), elle avait été engagée comme secrétaire à UCLA, l’Université de Los Angeles.
Sans l’Affirmative Action - qui l’aurait engagé comme secrétaire? Ils étaient très contents de ses services. Ce qu’ils ne savaient pas c’est que Vaginal Davis éditait un petit journal ronéotypé où elle racontait sa vie et très apprécié dans le Los Angeles "arty". Elle était l'amie de beaucoup d’artistes et en sus de son travail de secrétaire, jouait l’animatrice culturelle sauvage en organisant des sessions où elle présentait ses amis artistes aux étudiants...

Personnellement, si j’ai connu des cas manifestes de discrimination dans ma jeunesse, je n’ai pas eu besoin de l’Affirmative action pour entrer dans le journalisme (c’est l’amitié qui a joué). Mais, devant les difficultés que rencontrent d’autres trans, ça ne me dérangerait pas que pour une fois des mesures les favorisent.
Combien y a-t-il de personnes trans en France ?

Le pire, pour une population, c’est de n’entrer dans aucune statistique. Il n’existe pas de statistique des personnes trans’ en France. Le terme inclus les transsexuels désirants ou étant passés par une opération de ré-assignement sexuel – ce que la presse appelle « changement de sexe » - et les « transgenres » vivants en permanence sous une identité opposée à leur sexe biologique sans être passée par l’opération. On parle toujours au féminin d’une transsexuelle ou d’une transgenre vivant au féminin, au masculin d’un transsexuel ou d’un homme transgenre se vivant au masculin.

La seule statistique de l’Etat, c’est celle des personnes trans passées par l’opération et ayant demandées un changement de sexe légal. C’est automatique (après un jugement et des expertises dénoncés par les associations) depuis qu’en 1994 la France a été condamnée à ce sujet par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Cinq mille personnes environ ont vue leur statut juridique passer de femme à homme et d’homme à femme.

Pour les transgenres, rien. Pas un chiffre sur cette population, qu’à partir de mon expérience propre (j’ai 56 ans, je vis en femme depuis plus de trente cinq ans), je chiffre à 50.000… Pas de chiffres sur cette population, et beaucoup de clichés, de stéréotypes, le plus souvent discriminants.

Invitée sur le plateau de Pink TV par Monsieur Fogiel en tant qu’animatrice de la commission trans d’Act Up Paris , une demi-heure avant l’émission un de ses assistants est venu me dire : « M. Fogiel veut surtout vous parler de la prostitution ».
J’ai protesté : ce n’était pas le but de mon intervention. A l’antenne, M. Fogiel m’a asséné que la majorité des trans en France se prostituaient, sans fournir la moindre étude pour corroborer ses dires (qui déjà excluaient les hommes trans, très rares sont ceux qui se prostituent).

Quelques mois après sortait une petite étude, Personnes trans’ et mode de vie en France rédigée par Mme Kayigan d’Almaida, interne en Santé publique pour le CRIPS –CIRDO Ile-de-France à l’occasion d’une journée de rencontre « personnes trans’ quels enjeux de santé ? ».
Une étude légèrement biaisée car s’appuyant sur un questionnaire lancé par le CRIPS sur internet, donc à destination d’une population non-précaire.

« Sur un échantillon de 179 personnes, la moyenne d’âge est de 39,6 ans (…) Pour la situation sociale et le mode de vie des personnes enquêtées, certains résultats sont comparés avec ceux obtenus dans la même classe d’âge en population générale par l’enquête décennale Santé 2005.(…) Les personnes enquêtées ont un niveau d’études plus élevé que ce qui est observé chez les individus de la même classe d’âge en population générale. En effet, près de 55% des participants ont un niveau diplôme universitaire ou équivalent contre 24% en population générale (…). Pour l’activité professionnelle, 70% des personnes enquêtées ont une activité professionnelle. Celle-ci est variée, allant des domaines de l’informatique à ceux de l’art en passant par la fonction publique. »

On est très loin des clichés discriminants asséné par Mr Fogiel.
Mais Mme Kayigan y relève quand même : « On note cependant un taux de chômage de 16,2% et 13,4% des participants touchent le RMI, soit un taux de précarité plus élevé que ce que l’on observe en population générale. » . Cette étude, la première réalisée en France sur cette population, aborde aussi les discriminations, telles que perçues par les personnes intéressées : « Ainsi, 21% des participants déclarent que leur trans-identité leur a fait arrêter leur scolarité, 18% disent ne pas pouvoir exercer leur profession parce qu’ils sont trans (…). Au total, 49% des participants ont subi - ou ont renoncé à un droit de peur de subir - une discrimination à cause de leur trans identité ».
Pour préparer une journée d’étude pour le CRIPS, où je devais intervenir pour Act Up Paris sur l’impact du Sida chez les trans, j’ai fait des recherches dans sa riche bibliothèque, Tour Maine Montparnasse.
Toutes les études que j’ai trouvées portaient sur une population spécifique : les femmes trans prostituées, le plus souvent migrantes.
Aux stéréotypes des médias peuvent répondre les stéréotypes des chercheurs : même s’il y a une réalité spécifique du Sida chez les trans prostituées - n’y a-t-il pas un travers du chercheur d’aller toujours vers le plus « exotique » ? De s’éloigner de la personne qui sera le plus proche de lui, par sa culture et sa vie sociale ? (Je pense qu’on va retrouver ce travers dans leur approche d’autres communautés).

L’étude de Kayigan d’Almaida ne m’a pas étonnée, et m’a confortée dans mes impressions : outre qu’on oublie que les hommes trans n’ont pas recours au travail du sexe car ils sont mieux intégrés que les femmes trans. En France, aujourd’hui, la majorité des femmes trans sont sur le marché du travail. Et chez les trans qui se prostituent, la majorité n’a pas suivi son cursus scolaire en France, et provient de pays violemment transphobes où une trans n’a accès à aucune profession, où une trans n’imagine même pas qu’elle puisse faire autre chose que le cabaret où le travail du sexe.

Il est curieux qu’on ne puisse pas toujours se faire entendre sur ce point dans les ministères : regrettent-ils qu’en 30 ans les mœurs en France aient fait un tel chemin ? Regrettent-il qu’aujourd’hui il y ait des étudiantes et des étudiants trans dans les collèges et les universités ? Regrettent-ils que les trans se retrouvent sur le marché du travail ? Même si celles et ceux des transsexuels qui ont obtenus leur changement de papiers sont favorisés en face des transgenres, stigmatisés à jamais par leur numéro de Sécurité Sociale inamovible (en Espagne – et dans d’autres pays - une loi a donné aux Trans des papiers correspondant à leur vie sociale, opération ou non).

En France, à ma connaissance il n'existe qu'une structure essayant d'améliorer la situation des trans dans les entreprises : ÊGO (Être Genre Orientation - 5 rue Millon 69 100 Villeurbanne) qui offre des formations pour sensibiliser des professionnels aux discriminations sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre.
Elle est notamment animée par Natacha Taurisson, enseignante et syndicaliste, ancienne présidente de l 'ASB, la doyenne des association trans en France:
« Nous travaillons notamment beaucoup avec la DASES de Paris, qui par exemple, nous envoie des assistants sociaux, scolaires, hospitaliers ou éducateurs spécialisés. Nous organisons des stages en deux fois deux jours, avec des méthodes interactives comme « je vois, j'imagine, je ressens », qui permet de faire prendre conscience au stagiaire de la différence entre ses préjugés, ses représentations et la réalité de l'homosexualité ou de la trans identité.
Au bout de quatre jours, les participants à la session de formation sont enchantés, professionnellement et individuellement. On leur a appris à écouter et prendre en compte les revendications des personnes en face d'eux, pour les trans ça commence en les appelant par leur nouveau genre et prénom, même s'il ne figure pas sur leurs papiers.

En fait, c'est souvent plus facile pour les fonctionnaires que dans les structures privées. Un fonctionnaire bénéficie de toutes sortes de lois qui le protègent.
A l'Education nationale, une dizaine d'abus nous ont été signalés, que nous avons pu généralement régler. Seuls nous ont été signalés les cas litigieux, il y a sûrement d'autres trans dans cette administration pour qui tout se passe bien. Les plus gros problèmes se sont passés dans l'enseignement privé, souvent confessionnel, où la hiérarchie est plus pesante.

Les discriminations au travail se traduisent par exemple avec les problèmes de tenues professionnelles sexuées (NDLR : récemment, dans le Nord, une élève infirmière a dû batailler avec les associations LGBT pour obtenir de venir dans son genre d'adoption à l'hôpital).

Le port du badge peut porter problème si la personne n'a pas ses prénoms en conformité avec son apparence physique. Il y a eu des problèmes avec l'accès aux vestiaires, aux douches. Que faire pour permettre aux trans un meilleur accès au monde du travail ?

La Halde commence à peine à travailler sur l'identité de genre. Elle a récemment permis à une personne d'effectuer sa transition sur son lieu de travail, c'est une victoire importante. Mais la Halde ne conçoit pas d'intégrer en tant que telles les discriminations de genre...


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